J'ai la chance d'avoir rencontré par un heureux "hasard" ce grand monsieur alors que je n'avais pas 18 ans... Son humilité déjà à l'époque était tellement grande qu'il s'était présenté à moi comme un simple metteur en scène... C'est au fil des années que j'ai démêlée la pelote de sa vie et que ses fils et les miens se sont croisés depuis quinze ans.
Heureusement que Claude Guerre et Michel Archimbaud ont osé lui demander de sortir ses textes du tiroir et que tout ait concourru pour nous offrir ce morceau d'émotion brute et intense mardi dernier : l'Ange divulgué à la maison de la poésie à Paris...
Des mots debouts, incarnés par des voix polyphoniques, tantôt souffle, tantôt cri... Homme ou femme ont porté les paroles sorties des tiroirs de ce grand monsieur du théâtre, Gabriel Garran.
Plus d'un demi-siècle d'histoire, de la perte d'un père pendant la guerre, à la découverte de la langue déchirée et léguée à nos anciennes colonies, héritier de tous les combats, porte drapeau, marchant souvent à contre-courant, empruntant les chemins de traverse, préférant débrousailler que marcher à découvert, faisant traverser le périphérique à la culture (avec ou sans majuscule), faisant claquer les mots comme des balles pour abattre les a priori et renverser les ordres établis, créant ce qui n'existe pas.
Ces poèmes prennent aux tripes quand une comédienne s'avance et nous offre une ode au théâtre, quand un couple s'avance pour nous évoquer de la façon la plus imagée et pudique qui soit une première fois, quand un double de l'ange Gabriel dénonce ce petit monde imbu de lui-même
On part de la naissance malencontreuse de cet enfant dans la honte et la fuite, qui le mèneront de Pologne en France, mâchant du papier pour s'imprégner de ces livres, lui pour lequel les portes de l'école étaient closes.
Et puis, dans ce jeu d'ombre et de lumière, parmi les comédiens "nus" portant le texte de leurs voix et de leurs tripes et une ambiance sonore (de Romain Kronenberg) ponctuant, soulignant la tension émotionnelle... soudain l'émotion atteint son paroxysme quand Tcheky Karyo, poète lunaire, funambule, s'installe guitare à la main et nous chante un texte sur lequel il a composé la musique... j'en ai pleuré.
Chacun s'est donné pour faire vivre la parole de cet homme de l'ombre, humble, qui s'excuse presque, nous disant que tout cela aurait pu rester des ses tiroirs, mais le public répond unanime : "cela aurait été dommage".
Ce témoignage vivant, ce regard décalé sur la vie, l'amour, l'écriture, le théâtre, la place de l'art dans la vie et inversement.
Exister envers et contre tout et tous, oser s'imposer, même si l'on n'a pas le profil de l'emploi et offrir aux autres une place, se sentir proche de tous, les écouter, porter en soi son héritage, chercher son reflet dans les miroirs déformants : un regard lucide, touchant, cynique parfois, mais surtout aimant.
Il serait dommage que cette représentation - véritable moment de grâce - reste unique : il faut que cette parole vivante, vibrante, s'envole et aille à la rencontre de tous les amateurs (au sens premier du terme), de tous les amoureux de la langue.
à savourer sans modération, le livre sera publié prochainement et est à se procurer impérativement.
L'Ange divulgué
Poèmes de Gabriel Garran
aux Editions Archimbaud
parution le 3 juin 2008
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